Collier Schorr — interview par Eric Troncy,
Frog 8, 2009.
Collier Schorr — interview par Eric Troncy,
Frog 8, 2009.
The Wire. Très bien filmée, beaucoup de personnages, des bons et des méchants, très cinématographique. Maintenant, j’aime autant les séries policières que les Soaps, ou les comédies. Mais je pense que les séries policières sont celles qui vous entraînent le plus loin de votre propre réalité : nul besoin d’avoir quelque relation que ce soit avec les bons ou les méchants – à moins de venir du ghetto, ou d’un quelconque lieu où le crime a sa place.
En vérité, je regardais, enfant, ce que regardait mon père, et mon père aimait les séries policières. J’avais d’ailleurs l’ambition d’être policier, ou détective privé. Il y a une quinzaine d’années, je voulais rejoindre la John G. School of Criminal Justice et passer un diplôme de criminologie. J’avais déjà l’intention d’être artiste, mais je n’envisageais cela que comme un passe-temps. J’avais aussi besoin de faire quelque chose de « vrai ». Et puis au même moment on m’a proposé d’être rédactrice en chef de Frieze magazine pour les
Etats-Unis – ce que j’ai fait durant quatre ans.
Je pense néanmoins que les séries télévisées ont beaucoup changé, du fait des CD, des DVD et des iPods. Il fallait auparavant attendre une semaine entière entre deux épisodes, et ce temps « entre » vous permettait d’anticiper, de former des hypothèses, et puis au moment où l’épisode était diffusé il était fréquent de le regarder en groupe. Cela s’est vérifié avec Twin Peaks par exemple. Désormais, il n’est plus besoin d’attendre un rendez-vous hebdomadaire, et grâce aux DVD on peut voir toute une saison en deux jours : les personnages finissent par entrer directement dans votre tête, leurs voix deviennent vraiment familières. Il est possible de s’immerger complètement dans une série, de passer six heures d’affilée avec les personnages. Disons que la notion de contrôle du temps s’est inversée : avant la série avait le contrôle du temps, maintenant le spectateur a ce pouvoir de contrôle. C’est un peu comme Caligula : « All the sex you can have, all the food you can eat. » Et une fois que la série est achevée – ce peut être douze heures d’une traite – il y a cette période de deuil : que faire sans ces personnages ? Peu importe le personnage qu’on avait envie de baiser, ou celui qu’on avait envie d’être : il faut lui dire au revoir. La relation de maître à esclave avec une série s’est muée en relation de pure consommation. En ce moment je regarde le remake de Battlestar Galactica – une suggestion qui vient de Richard Prince qui m’a dit que c’était la seule série à regarder en ce moment. La meilleure. Je ne suis pas très portée sur la science fiction, mais c’est vraiment une série formidable. C’est d’ailleurs bien plus réaliste que Les Sopranos ! L’histoire est tellement plausible : l’idée que l’homme créerait quelque chose qui pourrait le détruire, faire de lui une minorité, et que les machines lui survivraient. Et puis ils disent constamment « Frac you » au lieu de « Fuck you ». « Motherfracers », « What the Frac »… ce qui doit être amusant pour un français ! Je crois d’ailleurs que certaines de mes œuvres sont dans des Frac en France ! « I got FRACed! »
— Vous avez photographié nombre d’acteurs de séries télévisées, comme Benjamin McKenzie de Newport Beach. Parlez-moi de ce moment ou un personnage se tient devant vous non plus comme un personnage de fiction mais comme une personne.
Photographier un acteur, ou n’importe quelle célébrité, n’est pas ce qui importe. Ce qui importe, c’est de photographier une célébrité qu’on aime vraiment. Si tel est le cas, c’est le photographe lui-même qui perfuse cet instant avec sa propre passion. Si tel n’est pas le cas, alors vous êtes juste en face d’une autre de ces personnes qui semblent plus belles qu’elles ne le sont vraiment. J’ai photographié Benjamin McKenzie le même jour que Lindsay Lohan. Lui n’était pour moi qu’un mec de plus, et mon boulot était de le faire apparaître plus beau qu’il n’est. Avec Lindsay Lohan, il était évident qu’elle allait devenir une star, d’une façon complètement différente. C’était aussi très excitant parce qu’elle devait avoir quinze ans et qu’il y avait quelque chose de presque illégal dans tout cela. Le plus ennuyeux lorsqu’on photographie des célébrités c’est qu’elles sont généralement très conscientes d’être des célébrités. Bien sûr, je déteste l’idée de mal traiter les célébrités juste parce qu’elles sont habituées au contraire. Alors la ligne de fracture se fait entre celles qui ont vraiment quelque chose à dire, et celles qui n’ont rien à dire : pour ces dernières il faut avoir un peu d’imagination et faire le travail à leur place.
— Vous les avez photographiées pour le magazine Details je crois. Il s’agit donc d’une œuvre de commande.
Oh non ! Je n’appellerais vraiment pas cela une œuvre, et encore moins une œuvre d’art. Bien que, cependant, il y ait des fois où cela puisse le devenir, comme lorsque j’ai photographié Brooke Shields. J’ai d’ailleurs ensuite inclu cette photo dans mes expositions. Mais nous avions déjà une sorte de connexion toutes les deux : nous venons de la même ville, nous avons le même âge, nous avons toutes deux des liens très forts avec Richard Prince – elle à travers des images, et moi pour avoir été son assistante, quand j’étais un peu plus jeune. J’avais 22 ans, je vivais dans son ancien studio où se trouvait l’original de Spiritual America.
J’ai vécu avec cette image pendant deux ans. C’est très curieux de vivre avec cette image tous les jours, pendant deux ans. Quand vous finissez par rencontrer vraiment Brooke Shields, la première question que vous avez envie de lui poser c’est « Hey ! Tu penses quoi de Spiritual America ? » Idem quand j’ai photographié Jodie Foester, c’était quelqu’un qui avait vraiment compté pour moi. J’ajoute que c’est quelqu’un avec qui il a été passionnant de discuter de ce que ça implique de faire une photographie. Cette partie « collaborative » est très importante pour moi.
— Y a-t-il des célébrités que vous voudriez vraiment photographier ?
Il fut un temps où j’aurais vraiment aimé photographier Sharon Stone – mais c’était il y a longtemps. Après avoir photographié Jodie Foster, c’est difficile pour moi de vous dire… Disons plutôt que sur le plan commercial, la célébrité que j’aurais vraiment envie de photographier est celle dont je vendrai l’image pour le plus cher. Donc j’imagine que ce serait Angelina Jolie. Ce qui rejoindrait d’ailleurs d’autres aspirations, car je suis très intriguée par elle et je pense que nous avons une sorte de connexion. Après tout, elle a trouvé le moyen d’avoir autant de succès alors qu’elle est si peu conventionnelle. Et Brad Pitt aussi m’intrigue, car je sais qu’il demande au moins deux jours pour une photographie, il vous demande d’avoir différentes idées, de laisser ces idées évoluer, et je trouve cela fascinant car la plupart des célébrités veulent être débarrassées de l’exercice de la photographie le plus rapidement possible. J’aimerais aussi photographier Catherine Deneuve, qui est tellement plus belle dans Indochine que dans Belle de Jour, et qui semble aujourd’hui habitée par une telle douleur ; et puis Monica Viti… Mais la question « qui voudriez-vous photographier » n’est pas la même que « avec qui aimeriez-vous dîner ».
— Euh… Hmmm… Vous avez photographié les membres de Tokio Hotel…
Ca vous fait rire ? J’ai été une grande fan de Tokio Hotel, la seule probablement, parmi tous les gens que je connais, à l’exception de Raymond Pettibon qui les aime beaucoup, et leur a consacré un mur entier dans son exposition chez Zwirner où l’on peut lire : « Tokio Hotel : Because Life is Worth Living. » Je les ai photographiés à Hambourg, pour ID Magazine. Ils avaient 4 gardes du corps, ce qui fait deux de plus que Jimmy Carter quand je l’ai photographié. C’est assez étrange de photographier ces garçons jumeaux, dont l’un est manifestement un garçon et l’autre une fille – bien qu’ils soient tous les deux des garçons. En tant que photographe, le langage de ces deux corps est extrêmement instructif à observer. Ils ont une telle connexion… Dans la vie réelle, celui qui s’habille avec les vêtements Hip Hop éclaterait probablement la tronche à l’autre en le traitant de grosse tapette. Mais tout ceci a à voir avec mon intégration allemande : maintenant j’ai photographié les chanteurs les plus populaires dans ce pays qui m’a adopté.
— La plupart du temps, vous photographiez des garçons.
Plus maintenant. Il faut vraiment me payer très cher désormais pour que je photographie des garçons. Je les ai assez photographiés. Il n’y a plus grand-chose que je puisse apprendre, ou montrer, avec les garçons. Il est plus intéressant pour moi désormais de photographier une fille de la manière dont je photographie un garçon.
— Vous avez débuté comme artiste et pas comme photographe de mode.
Si vous voulez vraiment remonter dans le temps, quand j’étais à l’université, j’écrivais pour le Village Voice, et c’était sur la mode. ça m’intéressait vraiment. Et puis je me suis intéressée au commissariat d’expositions et c’est cela qui m’a conduit à devenir artiste, et je pensais pouvoir le faire en étant aussi critique d’art, ce qui s’est révélé être trop compliqué. Si vous lisez les écrits de Donald Judd ou de Ad Rheinard ou de Smithson, c’est très instructif sur un plan historique. Mais aujourd’hui tout ceci est bien plus difficile et j’avais le sentiment qu’il s’agissait presque d’une invasion de ma vie privée, que je développais des idées qui au fond avaient plus à voir avec mon propre travail. Toujours est-il que quand j’ai arrêté la critique d’art, ça a laissé comme un vide, parce que j’ai grandi avec l’idée qu’il faut faire au moins cinq chose en même temps. Mon père écrivait des articles sur les voitures, il était photographe de voitures et était l’éditeur d’un magazine, il faisait des relations publiques pour les voitures…
J’ai grandi avec l’idée que si l’on aime quelque chose, on s’implique dans cette activité de tous les moyens possibles. Encore que, selon moi, il n’y ait que deux catégories : l’activité artistique à proprement parler, et l’activité commerciale, qui comprend la photographie de célébrités, les campagnes publicitaires et les séries pour la mode. L’activité commerciale se traduit soit par la commande : « Voulez-vous faire cette image, cette campagne » ou par une proposition « Je voudrais photographier ceci pour vous. » C’est une partie de mon activité que j’ai un peu délaissée ces derniers temps parce qu’une partie de l’intérêt que j’y portais était de voir si je pouvais le faire. Entrer dans ce monde et vérifier que je pouvais faire moi-même l’équivalent des images qui m’obsédaient quand j’avais treize ans. Je voulais aussi m’échapper de l’autarcie du monde de l’art, et produire quelque chose qui ne peut se faire qu’en équipe.
— Vos images ont fait école dans la photo de mode…
Il y a en effet au moins une vingtaine de photographes aujourd’hui qui ont beaucoup de succès en exploitant les idées esthétiques que j’étais plus ou moins la seule à travailler il y a bien longtemps. Et c’est ce qui me rend la photographie de mode assez ennuyeuse.
— Pensez-vous avoir commencé le dessin au moment où la photographie de mode vous a effectivement paru vraiment ennuyeuse ? Y a-t-il un rapport entre ces deux faits ?
Oui. Les choses n’ont pas été aussi claires que cela pour moi, mais cela me semble juste, chronologiquement. Encore que j’ai commencé à dessiner pour conduire un projet que je ne pouvais pas photographier. Il s’agit de There I Was, et cela n’aurait pas pu exister sans que je le dessine. Il n’y avait aucune autre façon de faire. Cela m’a fait prendre conscience d’une chose que les photographes (à l’inverse des peintres) ont à prendre en compte sérieusement : si vous voulez parler d’une époque qui n’est pas la vôtre, vous devez avoir recours à des artifices. Vous devez recréer quelque chose et tout devient théâtral. Elizabeth Peyton ou Neo Rausch n’ont pas à se préoccuper de cela. Il peut y avoir quelque chose de théâtral dans leur œuvre, mais personne ne leur dit jamais : « C’est factice. »
Pour ce qui me concerne, j’ai dû faire un million de « fausses » photos de l’armée, des photos factices, parce que j’ai trop peur d’aller effectivement dans des territoires en guerre, et parce que je voulais prendre en considération ce qui pouvait se passer dans la vie de ces jeunes soldats. Mais pour There I was, ce jeune garçon était mort. Mon sujet était mort, il était de surcroît le sujet de mon père qui, lui, l’avait photographié. Il semblait impossible de « rejouer » cela sur le mode factice.
— Comment est né ce projet, There I was, que vous avez présenté à New York (Galerie 303) et à Dijon (Le Consortium) ?
There I was parle de ce jeune conducteur de voitures de course, Charlie Snyder, que mon père connaissait et qu’il a photographié au milieu des années soixante. Mon père a écrit un article sur lui pour un magazine automobile. Mais lorsque l’article est paru, Charlie Snyder (Chas) avait été envoyé au Vietnam. Le titre de l’article disait quelque chose comme : « Tandis que Chas est parti à la guerre, ses amis conduisent sa voiture. » Et en vérité, lorsque le magazine fut publié, Chas avait été tué, après seulement quatre semaines au Vietnam. Pour une raison qui m’échappe, c’était le seul camarade de mon père et mon père ne m’en a parlé qu’il y a quelques années. Il m’a dit l’avoir fait parce qu’il avait retrouvé des photos de Chas et que, lui semblait-il, je l’aurais apprécié, et qu’il ressemblait aux garçons que je photographiais, moi. J’ai fait des recherches sur ce garçon, lu l’article de mon père, retrouvé certains de ses amis de l’époque avec lesquels j’ai correspondu…
et j’ai réalisé que pour la première fois, mon histoire personnelle réelle avait sa place dans mon propre travail. Certes, je m’étais inventé une biographie allemande assez convaincante, mais je n’étais pas vraiment allemande. Je me suis dit qu’avant de naître en Allemagne j’étais née dans le Queens, et me suis demandé comment le raconter. J’ai donc rassemblé tout ce que je pouvais trouver sur ce garçon, toutes les photos possibles, de lui, de sa fiancée, de ses amis. L’accumulation de ces documents historiques racontait une seule histoire : celle de ce garçon passionné par les voitures, qui fut envoyé au Vietnam et n’en est jamais revenu. Curieusement, mon père avait fait beaucoup de photos de la voiture, mais pas de Chas. Et pour raconter son histoire je voulais littéralement me consumer en lui, qu’il coule vraiment dans mes veines, et œuvrer à sa résurrection. Peu à peu ce lien qui m’unissait à lui m’est apparu de toutes sortes de manières : nous avions les mêmes initiales, autant de lettres dans nos noms et prénoms. Sa sœur avait aussi les mêmes initiales que mon frère… J’ai trouvé des photos de moi où je lui ressemble en tous points. Je voulais en vérité avoir une obsession qui ne dépende pas de qui que ce soit que j’aurais dû joindre au téléphone par exemple, ni même d’une de ces fausses intimités que je crée avec les modèles que je photographie.
Là, je pouvais simplement m’asseoir avec une photo de Chas et dessiner pendant des heures, changer ses expressions à mon gré. Ce genre d’intimité est radicalement différente de celle qui unit un photographe et son modèle pendant les cinq minutes d’une prise de vue. Le dessin vous fait toucher le corps de votre modèle, la photographie ne vous le fait que voir. C’est quelque chose de très addictif, comme fumer de l’herbe j’imagine. Lorsque vous photographiez vous êtes très alerte, en éveil absolu, c’est intense, il faut mobiliser tous les ressorts de son savoir pour obtenir ce que l’on veut, et convaincre le modèle de vous le donner. On y parvient ou pas, selon sa propre aptitude à convaincre le modèle à « être » avec soi. Mais avec le dessin, c’est entre soi et soi.
— Quelle est cette « biographie allemande » que vous avez évoqué ?
Je me suis réveillée un matin et j’ai réalisé que j’étais allemande.
Je suis pourtant née aux Etats-Unis et allée en Allemagne très tard, à la fin des années quatre vingt. Je suis tombée amoureuse du paysage, et tombée amoureuse tout simplement. J’ai été comme adoptée par une famille, et suis aussi tombée amoureuse de la situation d’expatriée. J’étais intriguée par le projet d’aller quelque part où manifestement, personne comme moi n’avait pris de photos. Je prends des photos de l’Allemagne que les Allemands prendraient s’ils étaient américains, mais les Allemands ne peuvent pas prendre de l’Allemagne les photos que je prends. Et quand je dis « allemands » je pense à Thomas Ruff, Andreas Gursky, Thomas Struth,… Leur Allemagne était celle que je connaissais depuis New York, mais pas celle que j’ai découvert quand je suis arrivée dans cette petite ville allemande. A New York, Larry Clark et Nan Goldin avaient déjà pris toutes les photographies. Je ne voulais pas en faire une de plus. En partant pour l’Allemagne, je voulais produire des images de l’Allemagne plus complexes que celles que j’avais aimé. C’est une situation assez intéressante de venir d’un pays qui pense que le patriotisme est la chose la plus importante, et d’aller dans un pays pour lequel le patriotisme est une chose éminemment dangereuse.
Par ailleurs, pour ce qui me concerne, être d’origine juive et aller en Allemagne, c’est un peu l’opposé que d’être américain et d’aller en France. Je pense que tous les artistes construisent leur propre mythologie. Les grands artistes en tous cas. Je ne suis pas certaine que Richard Prince soit vraiment né près du canal du Panama, que son père ait vraiment travaillé pour la CIA,…
— Votre « germanité » supposée ne m’ôte pas l’idée que, quand même, votre projet There I Was, tout autant que le film que vous avez réalisé pour le New York Times, et qui concerne les cow-boys, de même que les séries télévisées que vous évoquiez au début de notre discussion, renvoient plutôt à votre « américanité »…
Mais le film était une commande du New York Times. Je n’ai a priori pas d’intérêt particulier pour les cow-boys !
— Peut-être savait-on, au New York Times, que vous avez été l’assistante de Richard Prince pendant presque cinq ans, et par association d’idées…
Je crois surtout qu’il ont pensé que je photographie les hommes d’une manière différente, et que par conséquent le résultat diffèrerait des images un peu cliché de cow-boys. Ils avaient a moitié raison, parce qu’il est très difficile d’éviter les clichés avec les cow-boys. Mais bon, les photographier et les filmer au Cinderella Motel, six par chambres, deux par lit, fin prêts, habillés, dès neuf heures le matin quand je suis arrivée,… la première chose que je leur ai demandé, était de m’expliquer en quoi leur vie était différente de celle de leurs parents dans les années cinquante. Leur réponse a été limpide : ils avaient un sponsorship de Wrangler. A part ça… Ils votent républicain, ils vont à l’église, ils se marient, font des enfants très jeunes, et se produisent dans les rodéos.
— Revenons donc à votre « germanité » et parlons de vos Garden Sculptures.
Je pense que ma première idée au sujet de l’Allemagne est que tout y était enterré, sous le sol, et dans le paysage, et que l’herbe, les fleurs, les arbres poussaient sur l’Histoire. Mon travail a toujours consisté à imaginer ce qui se trouve en dessous des choses telles qu’elles se présentent à la surface. Cela m’a conduit à inventer mon propre paysage à la surface du paysage allemand. Il s’agit aussi pour moi d’interroger la beauté, d’en faire quelque chose de plus complexe, de plus dangereux. Le procédé de ces Garden Sculptures est finalement asssez simple : je vole des fleurs dans les jardins domestiques, les transporte vers une « vue », une « scène », et les attache pour les photographier comme un portrait. Elles ont toutes un caractère différent selon la manière dont on les photographie, comme un visage. Certaines sont passives, d’autres agressives, dangereuses. Il s’agissait donc de chercher autre chose derrière leur beauté immédiate.
— Ces Garden Sculptures, en dépit de leur nom, sont des photographies mais vous vous y référez souvent en les qualifiant d’installation.
Dans les années 90, Rudi Fuchs a organisé une exposition dans le Bad Wurtenberg, faite d’installations dans les principales villes de cette région. Chaque artiste était invité à proposer un projet. Dans notre ville, Schwebichgmund, Yannis Kounellis fit une sculpture près de l’église, que les gens de la ville ont immédiatement détesté. Ils ont essayé de la détruire, puis l’ont finalement brûlée. Pour moi, et en tant que juive vivant en Allemagne, cela semblait illustrer quelque chose qui s’était déjà produit. Je pensais aussi à ce vieux film de Frankenstein où des hordes de gens portent des torches vers le château pour en chasser le monstre – un monstre dont nous savions qu’il n’était qu’une créature inoffensive. Quoi qu’il en soit, je me suis demandé l’effet que pourrait avoir le simple fait de déranger un lieu. Ces petites installations sont comme de petits monuments, qui ne prennent corps véritablement que lorsque l’appareil photo tourne autour et, de fait, en change la composition. Une autre source d’inspiration pour ces Garden Sculptures vient de l’observation des photographies de Robert Mapplethorpe. Non pas ses photographies de fleurs, dont je pense qu’elles ont été faites pour le commerce, mais celles de bondage, avec des gens attachés, ligotés. Je voulais injecter cette dimension sexuelle dans la photographie de fleurs en les attachant, y insuffler quelque chose de brutal.
— Puisque nous parlons de votre inspiration, pouvez-vous me dire la nature du lien que vous entretenez avec l’histoire de la photographie ? Dans nos conversations, vous évoquez Stieglitz ou l’Ecole de Düsseldorf, maintenant Mapplethorpe, mais quels ont été les photographes – puisque tel est votre medium – les plus inspirants pour vous ?
Ma première inspiration a été mon père, et de le regarder prendre des photographies de courses de voitures. J’ai étudié le journalisme et donc je me suis intéressée à la photographie journalistique. Mais durant mes études j’ai travaillé pour Peter Halley et Richard Prince, et pour la Light Gallery qui a été l’une des plus importantes galeries pour la photographie dans les années 70. Elle l’était moins en 1985 quand j’y suis arrivé, mais avait des archives importantes, de Walker Evans et Muybridge à Stephen Shore. Mon travail là-bas était d’enregistrer tous ces tirages.
J’ai donc été immergée dans ce qui faisait office « d’antiquités », parce que ma génération s’intéressait plus à Richard Prince et à Sherrie Levine, à Cindy Sherman et Barbara Krüger… Mais je travaillais dans cette galerie et j’y ai organisé une exposition – ce qui me semble absurde en y repensant car j’étais très jeune. L’exposition s’intitulait Re-Photography: Walker Evans to Sherrie Levine. La première chose que l’on y voyait était une photographie de Walker Evans, à côté d’une photographie de Sherrie Levine d’après Walker Evans. Puis l’exposition se scindait en deux parties : l’une consacrée à l’appropriation et au post-féminisme, l’autre à des choses que nous avions à la galerie, et dont moi-même je ne faisais pas grand cas à cette époque parce que j’avais été profilée par mon enseignement pour m’intéresser au post-conceptualisme, à la déconstruction, et à ce genre de choses – et pas au simple fait, par exemple, d’utiliser une pellicule en couleur. Il y a d’ailleurs une certaine ironie pour moi à constater que Stephen Shore a été redécouvert bien plus tard aux Etats-Unis, après qu’il l’ait été par Andreas Gursky et l’Ecole de Düsseldorf.
Bref, losrque je travaillais dans cette galerie, on m’avait donné une photographie de Harry Callahan – et j’aurais tellement préféré un Muybridge bien évidemment mais aujourd’hui je suis très fière d’avoir cette photographie, qui représente des mannequins dans une vitrine et m’évoque Guy Bourdin. Mais à l’époque je ne m’imaginais ni lire ni même écrire un essai au sujet de Harry Callahan – puisque c’est ainsi que je faisais alors – tant cela me semblait démodé. Je pense donc, pour conclure, que je n’aime rien aujourd’hui de ce que j’aimais à l’époque, et que quoi que ce soit que j’aime aujourd’hui cela n’aura probablement plus d’importance quand j’aurais soixante ans. La seule chose qui garde pour moi une certaine forme de permanence est l’œuvre de Richard Prince, probablement parce que je le vois comme un véritable anti-héro de l’art. Etant étudiante et travaillant pour lui, il a été le seul exemple que je pouvais comprendre. Peter Halley, lui, m’a appris comment faire une visite d’atelier avec Bruno Bishofberger et acheter des fringues chez Comme des garçons… Il m’expliquait comment devenir une artiste élégante… Mais Richard m’expliquait comment on fait quelque chose à partir de rien. Comment, en articulant trois choses ensemble, elles deviennent votre propre chose. A bien y réfléchir, je pense avoir décidé de faire de la photographie après avoir vu Andreas Gursky et Thomas Ruff à la 303 Gallery au début des années 90. Et j’ai commencé à réfléchir à leur travail lorsque je me suis retrouvée en Allemagne, sur leur terre. Je pense faire partie d’un continuum qui va de August Sander à Candida Höffer en passant par Bernd et Hilla Becher.
Je pense poursuivre le projet de l’Ecole de Düsseldorf, d’une autre manière, peut-être un peu moins rigide. Je sais que Thomas Demand ne se voit pas comme appartenant à l’Ecole de Düsseldorf, mais je nous vois, Thomas et moi, comme poursuivant certaines des investigations qui y ont été entreprises. Cela n’apparaît peut-être pas comme tel, aussi parce que j’introduis des ruptures ponctuelles dans les stratégies habituellement employées par ces photographes. Mais il a toujours, et ici plus qu’ailleurs, été question de ruptures : entre Sander et les Becher, entre Becher et Gursky, entre Gursky et Ruff, entre Ruff et Demand,… ce qui est inhabituel est que cette rupture vient d’une photographe américaine en territoire allemand.
— Vous citez en effet beaucoup de photographes allemands, et peu d’américains. Vous ne parlez jamais d’Eggleston…
Eggleston ne m’a jamais vraiment intéressé. Je trouve que cela manque d’intention. Mais j’aime Weston, Stieglitz (en particulier un portrait de Gorgia O’Keefe par Stieglitz). J’aime aussi certaines œuvres de Diane Arbus mais la mythologie qui l’entoure ne m’intéresse pas. Mais je préfère Sander, et sa manière de capturer tout ce qu’il peut capturer dans une ville. C’est aussi ce que j’essaie de faire, à cette différence que travaillant dans une toute petite ville, je dois inventer beaucoup de ce qui la compose.
— Vous sentez-vous proche d’autres photographes qui sont vos contemporains ?
Non, pas véritablement. Mon travail n’a pas grand chose à voir avec celui de Jack Pierson, Rieneke Dijkstra ou Catherine Opie par exemple. J’aimerais qu’on me dise à quel « groupe » j’appartiens ! Ce serait bien plus confortable. J’ai toujours pensé que la meilleure manière d’exposer mes photographies dans une exposition de groupe, c’était entre une peinture, une sculpture et une bande-son. Je ne pense pas que mes photographies ont envie d’être avec celles d’autres photographes.
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e découvre votre intérêt pour les séries télévisées…
Je pense que cela fait partie de la culture américaine que de grandir en regardant quelque chose de récurrent, à un moment précis de la journée. La première « bonne » série que j’ai regardé était Hill Street Blues – qui préfigure
collier schorr
by collier schorr for Frog 8, 2009.